Nous nous sommes croisés en Août 2024

Rencontres lors de mes collectes dans les écosystèmes de l’île de Ré


Août : le temps des courses folles dans les dunes..

Mais pas pour tout le monde..

Regardons-y de plus près..

De longues colonnes vadrouillent sur les dunes protégées, piétinant sans vergogne la précieuse végétation et pourtant la maréchaussée n’y trouve rien à redire, et point d’amende en perspective..
Des terrassiers s’affairent, le sable vole en tout sens et pourtant point de seau, ni de pelle, et encore moins de château de sable à l’horizon
Les ganivelles, source habituelle de mauvaise humeur chez l’estivant cherchant le raccourci introuvable, sont franchies allègrement, sans le moindre effort, ni la moindre dégradation, sous l’oeil ébahi du bronzé contrarié..

Alors quelle est cette multitude qui se rassemble ici par familles entières, s’affranchissant manifestement de toute règle environnementale ?
Elle y a, semble-t-il, depuis fort longtemps ses habitudes, et chacun y célèbre à sa façon des retrouvailles estivales.
Mais il ne faut pas s’y méprendre : le motif est sérieux, l’atmosphère lourde, et l’ambiance électrique annonce l’orage dans l’arène dunaire..
En fait, ici, c’est règlement de ponte au "Quartz Club Littoral" des Dunes-en-Ré..

Pour commencer, il y a tout d’abord l’imposante famille Bembex, bariolée façon stade rochelais, toujours à la recherche du moyen le plus efficace pour installer un bouclier à l’entrée de leur terrier (modèle Brennus miniature, si possible).

A sa tête, une sorte de vendeur de plage, bardé de lunettes de soleil, qui pourrait faire facilement illusion, mais ne vous y trompez pas, la bestiole est soucieuse, c’est une femelle.
Elle surveille un point dans le sable, connu d’elle seule.
Il y a quelques heures, elle a creusé une galerie, puis apporté une proie, un Taon sans doute, et y a déposé un œuf sur l’abdomen.
Et très vite, elle est sortie du terrier en prenant soin de boucher l’entrée avec les moyens du bord, ratissant le sable afin de ne pas laisser la moindre trace, et en espérant ne pas avoir été vue.
L’histoire ne s’arrête pas là.
En effet, 2 ou 3 jours plus tard, l’oeuf libère une larve qui commence immédiatement à dévorer son repas qui l’attend. Mais en 24h il ne reste plus rien.
C’est ce que guette la femelle, restée dans les parages, et chose tout à fait extraordinaire, elle perçoit l’agitation du vermisseau qui ne trouve plus rien à manger dans sa demeure souterraine.
Elle part sur le champ en quête d’une proie, un Syrphe fera l’affaire.
Puis elle fonce droit dans le sable, juste au niveau du "bouchon" qu’elle détruit rapidement pour entrer dans le terrier, et ravitailler l’affamé.
Elle ressort tout aussi vite, rebouche soigneusement la galerie et attend, tout près de là, que sa progéniture manifeste à nouveau sa fringale..
Le petit manège va durer environ 2 semaines, à moins que quelque malfaiteur ne profite de l’ouverture de la galerie et aille pondre son oeuf sur la malheureuse larve qui servira alors de garde-manger..

Un malfaiteur du genre de celui-ci, une Mutille :

Ne vous laissez pas séduire par sa sympathique silhouette de fourmi en habit de velours. D’ailleurs, la bestiole n’a rien à voir avec les fourmis dont elle n’est qu’une lointaine cousine : c’est une guêpe solitaire !

Cette femelle, aptère, à la différence du mâle, est en quête d’un squat, genre galerie avec stock de nourriture et jeune larve bien grasse, pour sa progéniture.

Ce sera peut-être la galerie de notre Bembex, mais ce n’est pas ce qu’elle préfère ; elle s’en prendra plutôt à un des membres de la pègre des contrées dunaires qu’on croise inévitablement au coin du premier monticule de sable venu :
Le Sphex par exemple, de fort mauvaise réputation chez les grillons, et apparentés.. Ou son vieux compère, le Pompile, terreur absolue des araignées.

Gare au premier grillon qui passe à portée de dard du Sphex !
Destin funeste garanti !
Une torpeur définitive s’empare de la pauvre victime qui est immédiatement acheminée vers une galerie bien préparée à l’avance dans le sable.
Là, prudent, le Sphex commence par déposer le malheureux grillon pétrifié à l’entrée, le temps d’aller vérifier que sa galerie n’héberge point quelque intrus.
Puis, rassuré, il revient récupérer sa victime et va la déposer dans un des nids du terrier.
Enfin, le Sphex y dépose un oeuf et obture le nid.

Autre porte-dard de cette pègre, le Pompile, virtuose de l’estocade qui n’hésite pas à pourchasser les araignées jusqu’au fin fond de leurs terriers.
Toute fuite est vaine : rien ne peut les soustraire à la piqûre de l’assaillant.
Une fois la victime paralysée, le Pompile n’a plus qu’à pondre un oeuf sur l’araignée inerte, mais vivante, et à refermer la galerie..

Dans les deux cas, le grillon ou l’araignée, irrémédiablement figés, seront progressivement dévorés par la larve du Sphex ou celle du Pompile.

Et notre Mutille dans cette histoire ?

Et bien, en véritable larron, elle profitera de l’occasion que laissera un moment d’inattention de la pègre dunaire, pour aller pondre dans un de leurs nids, et sa larve dévorera ensuite celle du Sphex ou du Pompile et tout le garde-manger qui va avec, grillon, araignée..

Vous me direz comment se fait-il qu’elle puisse échapper à des individus aussi redoutables qu’elle doit forcément croiser dans les galeries ?
Sachez alors que ce corps de velours est trompeur à plus d’un titre : c’est une véritable armure qui résiste aux mandibules les plus puissantes et aux dards les plus acérés..

Et c’est ainsi, qu’en ces après-midis d’Août, sur le doux sable de nos dunes assoupies, dardées par le soleil d’été, l’estivant, paresseusement allongé sur le sol, ne se doute pas un seul instant qu’à quelques centimètres de lui, là, sous terre, à chaque coin de galerie, on dégaine à tout va, faisant de cet univers paisible un véritable enfer !..

Ainsi se termine un nouvel épisode de la chronique de la vie ordinaire dans les dunes rhétaises, dont j’espère qu’il ne sera pas censuré par les autorités locales, au motif d’effrayer le touriste !...

Et pour retrouver bien d’autres courses folles qui ont sans doute échappé à nos estivants, suivez cette Néréiphylle, elle va vous conduire : c’est par ici
..

Patrice Giraudeau