Nous nous sommes croisés en Juillet 2024

Rencontres lors de mes collectes dans les écosystèmes de l’île de Ré


Juillet : Quand l’Art de coincer la bulle relève de la survie..!

L’histoire commence quelque part, non loin de l’ancien pont du Feneau, de sinistre mémoire pour l’Anglais, puisqu’il y a 4 siècles, l’endroit fut fatal aux troupes de Bouquincan, comme on disait alors en françois. (Buckingham, dans la langue de Shakespeare..)

Quatre pans de murs délabrés, dont l’inclinaison est un défi permanent à Monsieur Newton, tentent de se dissimuler dans un bosquet de Tamaris et de Sureau, au risque de former un des rares reliefs de ce marais bien à l’écart des vimers touristiques du moment.

Il est midi au soleil, les 30°C sont au rendez-vous, et le doux bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été m’est particulièrement agréable à entendre : la gent à six pattes, voire huit, s’active en tout sens et c’est bien ce que j’espérai y trouver !
Du Charançon du Tamaris au Criquet mélodieux, en passant par le Brachymeria, minuscule hyménoptère aux "cuisses" d’haltérophile, tous les habitants de "Microcosmos" sont là, vaquant à leurs occupations diverses et variées.
Une mouche des fleurs, une "Anthomyie", attire mon attention ; ce n’est pas celle des pluies, mais sa cousine, celle des tempêtes : Anthomyia procellaris
Immobile sur une feuille, elle se livre à une activité qui ne lasse pas d’émerveiller le biologiste : à l’extrémité de ses pièces buccales, apparaît une sorte de petite bulle, puis au bout d’une vingtaine de secondes, notre mouche siphonne lentement cette bulle. Et l’opération se répète plus ou moins régulièrement pendant tout le temps de mon observation..

Que peut-elle bien faire ?..

Guilherme Gomes du "Department of Physics and Interdisciplinary Science, São Carlos Institute of Physics (IFSC), University of São Paulo (USP), Brazil" a réalisé de magnifiques expériences qui ont démontré l’intérêt de ce comportement.
Il a travaillé avec une lointaine cousine de notre Mouche des tempêtes, Chrysomyia megacephala , ce qui pourrait se traduire par "Mouche dorée à grosse tête" et qui présente ce même comportement comme beaucoup d’autres diptères.

Et alors ?

Il s’agit d’une astuce particulièrement efficace pour éviter à notre mouche de surchauffer, suite à ses intenses activités buissonnières..

En sécrétant cette gouttelette tout au bout de ses pièces buccales, cette dernière se refroidit en s’équilibrant avec la température ambiante ; au bout de quelques secondes, en siphonnant cette goutte rafraîchie, notre mouche réussit ainsi à abaisser de quelques degrés la température de sa tête et de son thorax : coincer la "bulle" pour garder la tête froide !.. Il fallait y penser !..
L’évolution n’est pas qu’une histoire de génétique ; la diversification des comportements et leur transmission sont aussi une voie majeure du maintien des espèces sur notre planète. Ne jamais l’oublier !

Mais le procédé a ses limites : en effet, Guilherme Gomes a montré qu’au delà de 35°C, la gouttelette ne pouvant plus se refroidir dans l’air ambiant, devenant trop chaud par rapport à la température interne de notre mouche, celle-ci, prudemment, cesse toute activité en attendant un peu de fraîcheur ! Pas folle la mouche !

Et c’est ainsi, que depuis cette découverte, au gré de mes rencontres sur les chemins de notre île, je me demande parfois si les diptères n’ont pas fait école : en effet, je demeure perplexe quant à l’existence d’une possible convergence adaptative chez mes semblables, chaque fois que je croise un adepte du Bubble Gum..!

En attendant l’éclatement de quelques bulles, financières, immobilières ou roses, je vous invite à retrouver celles, plus pétillantes et rafraîchissantes, du cru de ce mois de Juillet : c’est par ici ..

Patrice Giraudeau

Sources : Guilherme Gomes - Droplet bubbling evaporatively cools a blowfly - Nature / Scientific Reports 12/02/2018